Un témoignage recueilli par Anne Jeger, psychologue clinicienne.
Elle assure le suivi de couples infertiles,
de femmes vivant leur grossesse avec difficultés,
et de couples traversant un deuil périnatal.
Merci à Marie pour son témoignage.
C’est parfois après un long parcours de traitements de procréation médicalement assistée que se pose la question dans le couple d’adopter un enfant. C’est parfois aussi un projet qui existe depuis longtemps dans le cœur d’un homme ou d’une femme. C’est toujours une question. Que signifie adopter un enfant ? Un enfant d’un autre pays, d’une autre culture, d’une autre couleur de peau…
Adopter la différence, ouvrir son cœur à une aventure exceptionnelle, apprivoiser un être en devenir qui a quitté sa terre, parfois ses racines s’il en a eues.
A un moment donné il se posera cette question fatidique : Qui je suis ?
Elever un enfant adopté c’est l’élever vers qui il est fondamentalement et l’accompagner pour se trouver tout au long de son existence. La question identitaire peut surgir à 15 ans comme à 30 ans ou 50 ans.
Beaucoup d’idées reçus sur les enfants adoptés, de peurs, de retenus, d’a priori. Les émissions ou les reportages à la télévision sur le sujet ont tendance à montrer les parts d’ombres de l’adoption.
Marie partage ici celle de ses deux enfants pour dire combien elle peut être belle cette aventure, riche, étonnante, joyeuse, éclatante comme un feu d’artifice !
En 1999, mon partenaire et moi nous sommes mariés.
Nous avions le profond désir de fonder une famille, d’avoir plusieurs enfants. Chaque mois passait et rien ne se passait…
Au bout d’une année, nous avons consulté un gynécologue. Il était formé aux techniques de procréation médicalement assistée, quelle chance ! Mon mari et moi avons fait plusieurs examens et c’est moi qui présentais une maladie, l’endométriose, et je l’apprendrai des années plus tard, de l’adénomyose. J’ai subi une première laparoscopie qui a mis en évidence cette pathologie. D’autres hypothèses ont été posées…J’ai compris qu’il serait difficile d’avoir un enfant naturellement. Et en 2005, à la découverte de l’adénomyose lors d’une 3ème laparoscopie, ce fut une évidence qu’aucun ovule fécondé n’aurait pu se nider dans mon utérus très abîmé.
J’ai fait près de 10 tentatives, inséminations et FIV compris. Ces traitements étaient très éprouvants et fatigants entre mon travail, ma vie privée et les rendez-vous fréquents chez le gynécologue. Les émotions et les sentiments se mélangeaient entre tristesse, impatience, inquiétudes, colère, lassitude… sans compter les incompréhensions dans le couple, et la distance qui parfois s’installait. Période douloureuse dans mon corps et dans mon cœur. J’en parlais un peu à mes amies qui elles étaient enceintes ou avaient déjà des enfants. Et quand l’une me disait « C’est horrible les nausées, je n’en peux plus… », j’avais envie de lui rétorquer « Je veux bien avoir des nausées pourvu que je sois enceinte ». Et je voyais des femmes enceintes partout et c’était parfois très difficile à vivre. La maladresse des uns et des autres renforçait notre sentiment de solitude ou celui d’être incompris.
Au bout de tous ces vains traitements, nous nous sommes posés la question d’adopter des enfants. C’était une évidence pour nous deux. Nous avons commencé les démarches en 2001. De longs mois encore ont passé. Nous continuions à espérer avoir un enfant biologique mais l’idée d’adopter nous rendait heureux.
Après les espoirs et les fausses nouvelles, nous avons reçu un appel en 2004. Une petite fille nous attendait en Amérique Latine ! Quel bonheur immense ! Nous sommes partis la rejoindre rapidement. Elle avait le poids et la taille d’un enfant qui vient de naître. Elle était adorable. Le coup de foudre ! Nous sommes restés 6 semaines sur place – le temps de faire les démarches administratives, et surtout de nous apprivoiser. Tout s’est fait naturellement et facilement dans notre relation mère-fille. Je l’attendais depuis si longtemps et je l’avais portée dans mon cœur comme une grossesse interminable, mais tellement particulière. Espérer, toujours...
Les années ont passé. Clara avait beaucoup de caractère. Elle dansait tout le temps, riait, pleurait, se fâchait, s’extasiait et la relation déjà bien solide a continué à se fortifier. Clara a marché et parlé un peu tard. A l’âge de 4 ans, nous avons découvert qu’elle avait un déficit visuel conséquent à l’œil gauche. Elle a dû faire de la rééducation, porter un cache sur son œil pendant plusieurs mois. Puis se sont révélés un déficit de l’attention très important, une dyslexie, une dysorthographie, une dyscalculie. Nous avons pris les choses en main. Cela faisait beaucoup pour une seule personne ! Elle a bénéficié de séances de psychomotricité, elle était suivie par une psychologue, elle a eu du soutien scolaire renforcé. Nous sommes tombés la plupart du temps sur des personnes très compétentes. Et dans son école, actuellement, elle est très entourée. Les enseignants ont compris ses difficultés et l’aident beaucoup.
Trois ans plus tard, nous sommes partis chercher son petit frère. Clara était avec nous bien sûr et notre joie fut immense une deuxième fois. Nous étions comblés avec nos enfants. Le coup de foudre aussi ! Nous sommes restés un mois sur place. La relation avec mon fils s’est immédiatement tissée. Nos enfants se sont attachés aussi rapidement à nous, que nous à eux. Adoption mutuelle. Frère et sœur se sont adorés, se sont disputés, se sont éloignés, se sont rapprochés…
Entre temps, en 2008, nous avons ouvert notre famille à une autre petite fille qui était placée en foyer. Nous sommes devenus famille d’accueil. Elle vient chez nous régulièrement depuis bientôt 13 ans. Nos enfants la considèrent comme leur « sœur de cœur ».
En 2010, mon mari et moi nous sommes séparés pour plusieurs raisons. Décision très difficile à prendre vu les enjeux liés à l’adoption, les angoisses de séparation et d’abandon. Il a fallu beaucoup de force, d’énergie, de temps, d’écoute, de disponibilité et d’amour pour accompagner nos enfants, malgré la rupture. Cela n’a pas toujours été facile.
Clara a réagi fortement à la séparation. Elle a aussi posé rapidement des questions précises sur son adoption. Elles ont toujours été là. A 13 ans, elle est entrée de plein pied ou de plein fouet dans l’adolescence. Elle a un caractère fort et claquait déjà la porte de sa chambre à l’âge de 5 ans. Elle peut-être volcanique ! Mais elle s’exprime comme elle l’a toujours fait. Elle est un livre ouvert émotionnel. Ce n’est pas plus mal. Elle est aussi vive, attentionnée, empathique, à l’écoute des autres, sensible et affectueuse. Je la suis de très près car elle traverse des moments plus complexes ces derniers mois. Ses questions sont reliées à son identité : Qui je suis ? A qui je ressemble ? Comment est ma mère biologique ?
Son frère, qui est plutôt calme, observateur, réservé, drôle, commence à se manifester aussi face à sa sœur si affirmée. Paolo, comme Clara, a toujours su d’où il venait. Il ne pose pratiquement pas de questions. Il sait ce qu’il veut savoir. Cela lui suffit, pour le moment. Ce qui serait insupportable pour lui serait qu’on lui dise que ses parents adoptifs ne sont pas ses vrais parents.
J’ai beaucoup de respect et de gratitude pour leurs parents, ceux qui leur ont donné la Vie.
Ils grandissent et c’est passionnant. Confrontant aussi ! Mais chaque âge apporte son lot de surprises, de joies, de peines et nous avançons ensemble. Mes enfants sont magnifiques et m’enrichissent chaque jour. Quand je les ai regardés la première fois, j’ai su que cette rencontre-là serait l’aventure de ma vie ! Sans le savoir, ils me font évoluer, grandir et dépasser mes limites, celles de mes croyances, de mes certitudes et de mes doutes.
Par contre, je n’ai jamais eu aucun doute qu’ils étaient mes enfants, et que j’étais leur maman.
Il était une fois deux femmes
Il était une fois deux femmes
Qui ne s'étaient jamais rencontrées.
L'une dont tu ne te souviens pas,
L'autre que tu appelles « Maman ».
Deux vies différentes
Dans l'accomplissement d'une seule, la tienne.
L'une fut ta bonne étoile,
L'autre est ton soleil.
La première te donna la vie,
La seconde t'appris comment la vivre.
La première créa en toi le besoin d'amour,
La seconde fut là pour le combler.
L'une te donna tes racines,
L'autre te donna son nom.
La première te transmit ses dons,
La seconde te proposa un but.
L'une fit naître en toi l'émotion,
L'autre calma tes angoisses.
L'une reçut ton premier sourire,
L'autre sécha tes larmes.
L'une t'offrit en adoption,
C'est tout ce qu'elle pouvait faire pour toi.
L'autre pria pour avoir un enfant,
Et le destin la mena vers toi.
Et maintenant, quand en pleurant,
Tu me poses l'éternelle question,
Héritage naturel ou éducation ?
De qui suis-je le fruit?
Ni de l'une ni de l'autre mon enfant,
Tout simplement de deux formes différentes de l'AMOUR
Jean-Vital de Monléon