10 conseils de pro pour élever ses enfants sans les surprotéger !
Un article rédigé par notre partenaire
Anne Jeger, psychologue clinicienne.
Elle répond à vos questions si vous lui écrivez.
Depuis Françoise Dolto, l’enfant est une personne. Ce constat a changé la manière d’éduquer les enfants depuis 35 ans.
Aujourd’hui, certains psychologues et pédagogues s’interrogent sur l’éducation donnée aux enfants en posant un regard critique sur la «couvade parentale» - c’est-à-dire la surprotection - qui, à terme, empièterait sur le bon développement de l’enfant et son envol nécessaire pour vivre sa vie et non celle de ses parents.
Telle est la question. Autrement dit:
Didier Pleux, docteur en psychologie du développement et psychologue clinicien, est l’auteur de plusieurs livres dont «Un enfant heureux», «Exprimer sa colère sans perdre le contrôle».
Dans son ouvrage, «Les 10 commandements du bon sens éducatif», il met en évidence que les enfants qui le consultent souffrent de dysfonctionnements qui résultent davantage d’une carence éducative que d’une carence affective. Au siècle dernier, beaucoup d’enfants avaient souffert d’une éducation trop rigide où les sentiments s’exprimaient que trop rarement. Aujourd’hui, certains parents oublient d’enseigner les frustrations de la réalité. Et de fait, beaucoup d’enfants ne sont pas armés pour affronter les aléas de la vie et sont particulièrement anxieux voire angoissés.
Les parents d’aujourd’hui sont un peu perdus et s’informent pour savoir «comment faire» avec leurs enfants. Ils lisent, écoutent les émissions de télévision, surfent sur internet et reçoivent des informations diverses et variées qui au lieu de les éclairer, souvent les embrouillent car ils trouvent de tout et le contraire de tout.
Je vous livre ici quelques-unes de ses réflexions pour «faire réfléchir», et donner des pistes en vue de penser peut-être autrement l’éducation. Je citerai donc en grande partie ses propos.
Didier Pleux invite à revenir, avec amour (toujours), au bon sens éducatif: évitons de tout intellectualiser et répondons aux attitudes de nos enfants avec attention et réalisme. Le bon sens, c’est revenir à l’enfant, à ce qu’il vit, à la réalité des situations vécues, c’est redevenir « rationnel» devant ses comportements d’enfant qui ne peuvent être, au départ, qu’immatures.
Le plus souvent, nous, les parents, nous avons entendu que la moindre émotion de notre enfant exprimerait* un sentiment que nous ne pouvons pas entendre, ou tout du moins pas consciemment. C'est parfois vrai, mais cela ne peut être une règle générale. Si nous donnons raison à cette hypothèse, chaque ressenti de l'enfant risque d'être interprété : si mon enfant éprouve cela, c'est qu'il souffre d'autre chose. Nous entrons ainsi dans le « tout-interprétatif » et nous allons quitter notre bon sens… Sans non plus en faire une règle générale, il est souhaitable de se souvenir que l'enfant ressent surtout des émotions négatives lorsque la réalité ne lui plaît pas: ses sentiments d'anxiété ou de colère témoignent très souvent d'une faible acceptation des frustrations. Et c'est bien là que le parent se doit d'éduquer son enfant: l'aider à gérer ce quotidien qu’il ne veut pas toujours accepter.
Lorsque nous, parents, redevenons rationnels, nous ne voyons plus les choses de la même façon. Si notre enfant réagit émotionnellement de façon disproportionnée devant une difficulté, nous devons nous demander:
Comment appréhende-t-il les contraintes du réel?
De quoi a-t-il besoin pour affronter les aléas de la vie et que puis-je lui enseigner?
S'il continue de refuser les frustrations, pouvons-nous reconnaître qu'il s'agit peut-être d’une simple opposition* et qu’il n'est pas question de céder devant ce genre d'attitude?
Si en revanche nous croyons que tout comportement de l'enfant est un «langage» nous n’allons plus oser réagir de façon réaliste. Nous risquons de jouer au psy et de donner des réponses éducatives qui n'ont plus rien à voir avec la réalité de notre enfant et avec la réalité tout court. Selon ce que nous pensons du réel, nous allons agir rationnellement ou non.
Selon nos pensées, nos croyances, nos interprétations, nous pouvons ressentir des émotions trop intenses devant tel ou tel événement de vie de notre enfant. Et si nos émotions sont trop fortes (anxiété et non simple inquiétude, colère et non léger agacement), nous allons répondre de façon peu réaliste à ce qu'il fait. S'il parle peu, vous allez devenir son principal interlocuteur et renforcer les comportements de retrait puisque vous ne pourrez pas toujours être là… S'il a du mal avec les autres, vous risquez* de le surprotéger et lui éviter de se confronter aux autres enfants, au lieu d'évoquer le sujet avec lui et de lui proposer des petites stratégies pour s'inclure dans un groupe. A contrario, s'il signe des attitudes rebelles, vous risquez de répondre en «colérique» et de ne jamais décider d'actions pour stopper certains débordements.
L'objectif n'est donc pas de ne ressentir aucune émotion négative, mais d'éprouver ce que nous appelons des émotions négatives adéquates. Lorsqu'un comportement de notre enfant nous agace, nous énerve, nous frustre, nous ne ressentons plus cette colère qui nous fait prendre des décisions irréalistes pour lui. Dans ce cas-là, nous continuons d'éduquer et nous allons trouver les bonnes solutions. Si l'attitude de notre enfant génère une certaine inquiétude et non de l'angoisse, nous pourrons trouver les réponses. Dans les deux cas, c'est bien notre interprétation du comportement de l'enfant qui est déterminante: selon ce que nous nous disons, nous allons ressentir telle ou telle émotion et nous comporter de telle ou telle façon.
«Je ne veux pas voir mon enfant souffrir». Cette pensée de parents est tout à fait normale, mais tentons de ne pas confondre ce que pourrait vivre notre enfant avec ce qui a pu être insupportable dans notre propre vécu d'enfant. Surtout, essayons de ne pas «dramatiser» la réalité. Si nous pensons que telle ou telle limite*, que telle ou telle dysharmonie vont le handicaper dans sa vie, nous allons réagir en le surprotégeant et en oubliant de lui donner des pistes pour savoir vivre avec ses capacités et ses manques. Si nous ne pensons qu’à sa souffrance, nous allons être submergés par l'anxiété, nous allons nous inhiber et ne plus rien enseigner pour le rendre plus résilients. Et si les carences que l'on voit nous mettent en colère, nous allons surréagir, critiquer, condamner là où il faudrait d'abord aider.
Mieux penser la réalité de notre enfant, c'est donc, avant tout, accepter: accepter le tempérament, les aspects positifs comme ceux plus négatifs de sa personnalité. Et nous, les parents, nous allons accepter qu'il ne soit pas comme nous, qu'il est singulier. Et si nous avons du mal à accepter ses limites ou ce qui nous semble être difficile pour lui, nous ne pouvons que «faire avec» cette réalité*.
Si nous ne cessons de penser que notre enfant «devrait» être mature, sage, obéissant et accepter toutes les contraintes du réel sans crises, nous devenons nous-mêmes irrationnels. Et nous risquons d'avoir des attentes, des exigences qui vont exacerber nos sentiments de colère ou d’anxiété. Une fois de plus, ces émotions trop fortes vont susciter des réponses éducatives inadéquates. Nous allons devenir des moralisateurs quand une conséquence suffirait pour endiguer une attitude négative. Nous allons dramatiser la réalité de l'enfant au lieu de lui apprendre à mieux s'adapter. Nos pensées «absolutistes» vont générer les fameux : «Tu n'avais qu'à... », «C'est simple de... » Des phrases qui ne servent à rien.
Accepter son enfant, c'est aussi accepter qu'il ne va pas apprendre la réalité facilement. C'est aussi accepter qu'il ne va pas forcément vous écouter et vous dire constamment: «Merci de m'apprendre la tolérance à la frustration, je sais que c'est pour mon bien» Le naturel de l'enfant, nous le savons, n’est pas d'aimer les contraintes, les aléas, les difficultés, car finalement qui les aime? Si nous acceptons l'idée que l'enfant est, avant tout, dominé par son «principe de plaisir (immédiat)», nous allons mieux penser les conflits: «Mon enfant n'est pas encore capable de vivre une réalité qui ne correspond pas à ses désirs. C'est normal, mais ma mission d'éducateur est bien de lui enseigner cette réalité et de lui donner les moyens de mieux la vivre».
Lorsque nous avons un enfant, nous prenons souvent nos désirs pour des réalités. Nous aimons l’entendre parler, le voir réaliser des choses. Mais, peu à peu, nos pensées et nos attentes vont devenir «absolutistes». Voilà ce que mon enfant devrait dire ou faire à cet âge-là. Nous nous éloignons de la réalité de l'enfant, nous exigeons qu'il se comporte comme nous le désirons. Et, dans ce cas de figure, nous risquons d'obtenir l'inverse de nos souhaits: à force de le considérer adulte, l'enfant va devenir immature...
Savoir «disputer» nos pensées n'est pas chose aisée. C’est initier cette faculté de remettre en cause nos demandes, nos attentes, nos exigences concernant notre enfant quand elles s'avèrent hors réalité. L'apprentissage du réel se substitue à nos désirs de voir notre enfant plus grand qu’il n’est. Nous ne céderons plus à la flatterie, mais nous nous rappellerons que les savoirs, les progrès, la réussite sont souvent liés à l'effort accompli et pas seulement au talent... inné!
N'oublions pas! Selon ce que je pense du comportement de mon enfant, je vais ressentir une émotion plus ou moins adéquate. Si je crois qu'il est nécessaire de toujours le valoriser et de développer son égo, je risque une «anxiété parentale»: «Est-ce que je lui apporte tout ce dont il a besoin?» Je risque aussi d'être en colère contre la réalité (et celle des autres) qui ne va pas toujours répondre à ses demandes...
Si je pense différemment les comportements de mon enfant, je peux retrouver un bon sens éducatif. Il est bon de se questionner: «Mon enfant doit-il obtenir toujours tout ce qu'il demande?», «En le valorisant constamment, apprend-il le sentiment de l'autre? La réalité d'autrui?», «Est-ce que je ne suis pas en train de lui montrer une réalité qui n'existe pas?».
Si je pense que le «principe de réalité» est trop dur ou frustrant pour mon enfant, je vais l’enfermer dans un monde illusoire où rien ne doit l’ennuyer, le contraindre, le contredire. Je vais lui apprendre que c'est lui qui a toujours raison et qu’il n'a pas se remettre en cause. Peu à peu je le déresponsabilise et il va développer une vision de la réalité de plus en plus irrationnelle.
Si je pense qu'un enfant a du mal à accepter les contraintes de la réalité, je ne vais pas ressentir de l'anxiété quand il affronte les adversités, je vais tout simplement constater que c'est une étape nécessaire à sa future maturité. Je vais le responsabiliser en lui enseignant que parfois nous sommes responsables de ce que nous vivons et parfois que c'est l’environnement ou les autres.
Si vous pensez que votre enfant doit vite devenir adulte, qu’il ne doit pas souffrir des frustrations de l'enfance, vous l'incitez à prendre un statut d'adulte. Habitué à refuser la sieste, à se mettre dans le rouge en refusant le repos nécessaire, le laisser devant des écrans, répondre à toutes ses demandes de loisirs, accepter qu’il coupe la parole, ne pas exiger une petite participation aux tâches domestiques, tout cela lui donne l'habitude d’oublier ces contraintes d'enfants.
Au final, vous lui faites croire qu'il pourra toujours éviter la réalité qui ne veut pas et qu'il pourra toujours décider de ce qu'il veut.
Si vous remettez en question certaines de vos croyances... :
... vous redevenez rationnels et reprenez votre rôle d'éducateur.
Nous nous sentons parfois impuissants devant certains débordements de notre enfant. Et nous rationalisons, nous lui trouvons de bonnes excuses: «Il est encore trop petit, si l'environnement était moins provocateur, l'âge de raison viendra avec le temps...» Des lors, nous oublions que tout passage à l'acte, peu grave ou plus important, doit toujours avoir une conséquence qui sera toujours en rapport avec l'acte posé. Cela n'a rien à voir avec la punition disproportionnée, toujours décidée par nos émotions exacerbées, mais cela permet de faire comprendre à l'enfant que tous nos actes ont des effets.
L'enfant n'est pas un «monstre» à dresser. Mais il a bien du mal à se réguler seul, à maîtriser ses pulsions. Parfois, lui demander de réparer ses actes vaut mieux qu'un long discours! Certains adultes ont besoin d'un Code civil, pénal, fiscal, un Code de la route... Beaucoup d'enfants ont besoin d'un code familial.
Attention de ne pas enseigner à nos enfants une fausse réalité d’eux-mêmes. Envisager l'acceptation de soi, c'est appréhender toutes les facettes de sa personnalité: ses qualités, ses talents, comme certaines limites*! Si la «survalorisation» génère une hypertrophie de l'ego, il ne faut pas oublier que l'absence de renforcements positifs (valorisation par les compliments, les encouragements, les gratifications, la reconnaissance) est tout aussi délétère.
Si ces hypothèses éducatives ne donnent aucun résultat, il est toujours bon de consulter.
Je me permets de vous rappeler la règle incontournable en éducation : amour et frustration. Frustrer sans affection, c'est de l'autoritarisme; aimer sans frustrer, c’est l'entrée dans la permissivité éducative.
Si nous, parents, nous ne résistons pas aux contextes d'hyperconsommation, d’individualisme et donc du «principe de plaisir immédiat», nous risquons d'engendrer des petits rois qui seront très vulnérables et malheureux face à ce fameux «principe de réalité».
Éduquer avec du bon sens va vous ressourcer et vous redonner de l'énergie ! Vous le verrez, l'éducation de nos enfants peut devenir un véritable bonheur !
Je compte sur vous pour toujours garder cet esprit critique qui est la pierre angulaire du bon sens éducatif.
* Petite touche personnelle
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