Notre expert
Le conte et son histoire

"Souvenez-vous que les contes ne sont pas là pour endormir les enfants mais pour éveiller les hommes".

Résumé d'une conférence de Madame Alix Noble, enseignante, conteuse

Le fait que nous attachions le conte à l'enfant ne me plaît pas beaucoup, car les contes ont un public enfant et un public adulte. Et, historiquement le conte n'est pas du tout spécifique à l'enfance.

Nous allons nous promener dans le monde du conte, et nous allons voir que si le conte a dormi pendant très longtemps pour certaines raisons, en fait il existe depuis très, très, très longtemps.

L'histoire du conte

Le mythe: l'ancêtre du conte est le mythe.

Pourquoi raconter des mythes aux enfants?

  • La mythologie accompagne et aide l'enfant à se construire car elle met en scène les besoins de l'enfant qui grandit
  • Elle met des images et des mots sur les craintes archaïques de l'enfant, sur ses peurs et sur ses incertitudes
  • Elle permet à l'enfant de grandir via son imaginaire
  • Elle développe les connaissances, enrichit le bagage culturel de l'enfant
  • Elle permet de découvrir et comprendre le monde, de se poser des questions philosophiques : 
    • Pourquoi est-il indispensable que Pénélope soit fidèle et sans importance qu'Ulysse ne le soit pas ?
    • Est-ce juste que Minos enferme Dédale dans le labyrinthe pour se venger ?
    • Vaut-il mieux mourir en plein usage de sa force et de sa raison ?
  • Et puis, la mythologie, comme la Bible, donne des références culturelles et permet aux enfants de comprendre d'autres oeuvres.
    De nombreuses oeuvres littéraires, musicales, théâtrales... empruntent à la mythologie son histoire, ses références (Comme Harry Potter et sa cape d'invisibilité, le chien à trois têtes...)

Dans notre culture le mythe de Gilgamesh (histoire sumérienne de 4500 ans) contient en germe tous les contes:

Gilgamesh est un homme-Dieu surpuissant donc menaçant pour les autres Dieux. Ceux-ci décident de lui imposer un autre homme, Enkidou, qui est censé le museler. Or les deux hommes deviennent plus que des amis, des reflets l'un de l'autre. Alors les Dieux décidèrent de tuer Inkidou. Gilgamesh, confronté à cette mort, part chercher la plante de l'éternité. Il voyage beaucoup, la trouve et en revenant pour réveiller son ami grâce à cette plante, il s'assoit et s'endort près d'une source car il est fatigué. Le serpent arrive et mange la plante. A cause de ce serpent aucun de nous n'est immortel sauf le serpent qui lui, change seulement de peau.

Nous sommes orphelins de nos mythes qu'on ne raconte plus. Les mythes bibliques font peur et on ne les raconte pas. On a tort et on ne mesure pas encore bien ce que cela va nous coûter d'être ainsi orphelin de nos propres origines contées ou imaginaires.

Les légendes: Réponse de l'imaginaire à des évènements relationnels, sociaux, historiques, géographiques et qu'elles tentent d'expliquer.

Les contes de fées: Ils étaient beaucoup racontés. Certains les ont écrits tels qu'ils les ont entendus comme les frères Grimm. D'autres, comme Perrault y ont ajouté des morales, les ont retravaillés et ils ont été racontés aux enfants.

A partir du moment où ces contes se sont vu réduits à n'exprimer qu'une seule signification, ils ont commencé à s'endormir. Mais actuellement les contes renaissent pour les adultes également.

Les contes ont tous la même structure:

  • Un(e) héros (héroïne) confronté(e) à un manque. Dans le conte de fée le désir est atteint à sa racine. Il y a un trou et la vie ne peut pas continuer, ou si elle continue, elle reste dans une sorte de momification du désir.
  • Le conte démarre quand le héros part (du palais, dans un grand sommeil - considéré comme un autre endroit, ce qui est aussi un départ). Ensuite tout ce qui va se passer est déjà joué (combat...).
  • La fin du conte se termine par un mariage. Non pas que le conte soit désuet et continue d'abrutir la femme en ne lui prévoyant comme bonheur que le fait d'avoir de nombreux enfants. Il signifie que, pour grandir il faut quitter, et que pour avoir une raison de quitter, il faut savoir qu'au bout on retrouve une relation à sa taille d'adulte.

Dans les contes de femmes il y a souvent 3 vieilles femmes, des marraines ou 3 fées symbolisant le destin.
Dans la mythologie grecque, une des racines du conte, elles sont également trois: ce sont les Parques et elles représentaient le présent, le passé et la mort.

Interprétation d'un conte:

Fleur d'épine des frères Grimm ou la Belle au bois dormant de Perrault selon deux façons différentes:

  • Pour le mythologue, c'est un conte solaire qui est dans la lignée du très vieux conte d'Eschyle du 4ème siècle avant JC, du conte de Perceforest 13ème siècle, où l'on retrouve les 13 fées, le fuseau, le sommeil…
    • Le sommeil est l'année ou la nature qui s'endorment.
    • Le prince qui arrive est le printemps.
    • Les 12 fées sont les 12 mois et la 13ème est l'année qui ne veut pas s'en aller…

    • Idem pour Blanche-Neige:
      • les 7 nains sont les 7 jours de la semaine. Idée de la durée qui doit passer et que rien ne doit arrêter.
      • Le rouet, qui tourne comme le temps est très dangereux, et il y a beaucoup de prescriptions qui interdisent aux femmes de filer et d'avoir une quenouille entre les mains pendant les 12 petits jours, ceux qui séparent le 25 décembre du 6 janvier. A ce moment là, le cycle du temps semble s'arrêter et aucun cycle humain ne doit être mis en route. Cet interdit est présent dans toute l'Europe, sous peine de maléfices divers selon les régions ( le blé pousserait de travers, les oies auraient le tournis,…)
  • Pour Bettleheim, psychanaliste qui se range plutôt du coté de Freud, et à qui l'on doit certainement le réveil du conte, il y a beaucoup de symboles sexuels:
    • l'escalier dans le donjon symbolise le coït,
    • la clé qui tourne dans la serrure symbolise la pénétration…
    • Il voit dans les 12 fées, les 12 menstruations et ce conte raconte l'histoire d'une fille pré-pubère qui arrive à la puberté: elle n'est pas encore prête et a besoin de cent ans d'un sommeil épais pour pouvoir être prête et ouverte à la relation.

  • Pour l'analyste Jungien, le conte a culturellement beaucoup de choses à dire, autant à une société qu'à une personne.
    Il va considérer tous les aspects du conte comme les aspects d'une personne.
    C'est un conte qui parle des différents côtés de la femme: le rouet, la 13ème fée, la 12ème celle qui transforme la malédiction en sommeil… symbolisent chacun, un des côtés de la femme et on n'a pas intérêt à se séparer d'un de ces cotés et à le reléguer ailleurs car, alors, il devient dangereux.
    Tout le travail de la personne pour parvenir à son identité va être de réconcilier tous ces aspects d'elle-même.
    Cet analyste fait également une lecture de culture. Qu'est-ce que cette culture qui cache et qui relègue les femmes créatrices: la femme sage qui représente d'un coté la vie et de l'autre la mort?

On peut donc dire beaucoup de choses derrière des contes que l'on connaît parfaitement.

  

Le rêve et le conte

Tant qu'on n'est pas parti on ne peut pas connaître les richesses qu'on a en soi.
C'est la même chose pour le sommeil: tant qu'on n' a pas lâché prise, lâché les rênes de l'éveil, on ne peut pas savoir les trésors qu'on cache au fond de nous.

Les points communs entre les rêves et les contes:

  • Le temps: dans les rêves on n'a pas la notion du temps. Il devient espace. Dans les contes on marche beaucoup et c'est probablement une manière de figurer le temps.

  • Désirs et émotions: Le rêve est là comme régulateur des désirs et des émotions dont on n'est pas forcément conscient. Il vient permettre au désir de s'exprimer, et avec lui tout ce qu'il véhicule de crainte, de peur, de haine…
    Le conte agit de la même façon: il travaille uniquement sur les émotions puisque tout ce que raconte le conte est faux.
    C'est la grande force du conte: il était une fois ET il n'a jamais été une fois. Ce qu'on va vous raconter est complètement faux, mais il dit la vérité des émotions.

  • La symbolisation: Le rêve l'utilise, c'est un langage archaïque concret. Il y a toujours des objets, des animaux, comme si les émotions prenaient des formes tout à fait concrètes.
    C'est la même chose pour le conte. Jamais il n'utilisera un concept abstrait, pour la colère il mettra un ogre, pour l'angoisse et la peur il mettra des forêts, pour montrer les différents côtés de la maternité, il mettra des sorcières, des mères mourantes, des marraines…

Les différences entre les rêves et les contes:

  • La parole: si le conte est vraiment la maison des rêveurs, il est un rêve raconté à tous, il parle et il rassure, il va éveiller des émotions qu'on n'a peut-être pas envie d'avoir, mais il va organiser celà de telle manière qu'on n'a rien à craindre: d'abord parce que ce n'est pas vrai, et ensuite parce que ça finit bien.
    Et il est impératif de raconter des contes pour des enfants qui se terminent bien car on va éveiller des émotions chez eux dans lesquels ils peuvent se reconnaître. Le conte va mettre en stucture des émotions les unes contre les autres et il est vital que le bon l'emporte. Il a la morale d'un enfant de 4 ans: le gentil gagne et le méchant est éliminé. 
    Le conte structure une émotion et la met dans une histoire qui vient de loin, qui a différents niveaux de sens, que ni celui qui raconte ni celui qui entend ne connaît. Avec cette morale de faire gagner le gentil, où tout finit bien, par un mariage où on mange beaucoup, on peut, rassuré, écouter une histoire qui nous raconte.
  • L'image: le rêve peut être représenté par un kaléidoscope: il est images, brisures de toute une série de choses que nous sommes, apparemment sans cohérence, aussi changeant et flou que l'image du kaléidoscope qui tourne et qui nous envoie chaque fois une autre image.
    Le conte prendrait plutôt l'image du vitrail: on reprend ces mêmes éclats de couleur mais cette fois, ils sont organisés pour avoir une forme compréhensible par tous, chaque morceau enchâssé pouvant nous parler de nos propres petites miettes. Nous ne le savons pas et il est très important que nous ne sachions pas ce que le conte nous dit, que nous ne l'interprétions pas, et que le conteur ne livre pas l'interprétation de ce qu'il raconte car le conte est plus riche qu'une seule interprétation. Si le conteur interprète pour l'enfant ce qu'il raconte, il va moraliser l'histoire. A partir de ce moment là, elle n'aura plus qu'un sens.

    Un exemple: le conte Petit Chaperon Rouge que M. de Perrault a moralisé: "Jeune fille, si vous écoutez les flatteurs…" comme il charge de morale chaque conte qu'il raconte.
    Or, l'histoire du Petit chaperon rouge, est une épouvantable histoire de sang et d'anthropophagie, qui date d'avant Louis XIV et qui était racontée aux filles faisant leur trousseau par une vieille femme, souvent la sage-femme.
    Elle rassemblait et présidait toutes ces filles dans la grande salle du village et, pendant qu'elles filaient ou qu'elles tissaient elle leur racontait des contes initiatiques. La petite fille du Petit Chaperon rouge a 14 ou 15 ans, et n'est pas une enfant.
    Ce qui montre la force de la banalisation. M. de Perrault a probablement entendu cette histoire là, mais elle était irracontable dans les salons littéraires. Alors il l'a transformée et en a fait une histoire qui est devenue une histoire pour petites filles.
    C'est ce qui se passe pour beaucoup de contes.

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