Résumé d'une conférence animée par le Dr Laurent Junier, médecin responsable La Cassagne,
médecin-adjoint au CHUV, pédiatre FMH.
Introduction: On parle peu des enfants handicapés et de leur famille. La littérature n'est pas très abondante sur le sujet, mais je peux vous conseiller le livre de Régine Scelles: Fratrie et handicap. Pédiatre, cela fait plus de 20 ans que je m'occupe de ce problème et cela me touche de vous parler de mon expérience ce soir. Nous allons d'abord parler d'enfants. On voit beaucoup la différence, mais on oublie souvent de voir l'enfant qui est derrière. Or les enfants réagissent tous comme des enfants.
La norme est souvent modifiée par les aléas d'une déficience qu'il y a dans la famille.
Ex: la jalousie : sentiment considéré comme normal au sein de la fratrie. On dit: il est jaloux car Papa ou Maman s'occupe plus de sa sœur handicapée. C'est peut-être vrai, mais ce n'est pas sûr. Il peut être aussi jaloux car simplement c'est le frère ou le grand frère. On a tendance à tout faire porter à la différence, en oubliant qu'un certain nombre de choses sont normales.
Classification internationale des handicaps: quand on utilise le mot handicap, on sous entend qu'il y a atteinte à l'intégrité, et cela prête à confusion. Or on est handicapé quand on ne peut pas participer.
Pour être plus précis, une classification basée sur 3 notions différentes a été élaborée:
- La déficience: atteinte à l'intégrité corporelle, la maladie
- La capacité: se base sur ce que les gens peuvent faire et non ce qu'ils ne peuvent faire.
- La participation: ce à quoi les gens peuvent participer, dans les situations de la vie quotidienne.
Questions posées par la fratrie :
article de la revue de l'Association Suisse en faveur des infirmes moteurs cérébraux.
- Elle a besoin de savoir ce qui s'est passé autour de la naissance de l'enfant handicapé.
- Elle ne comprend pas avant 4 ou 5 ans ce qu'est le handicap. Il est associé à la grippe, il n'est pas définitif . Elle demande qu'on soit clair sur ce point, qu'il y ait des mise à niveau de la part des parents.
- Elle veut pouvoir exprimer ses phases de deuil: colère, chagrin,…: la soeur a un frère/sœur idéal dans la tête, non handicapé. Il lui faut faire le deuil de cet idéal pour accepter le handicap.
- Nouvelle naissance dans la famille: la fratrie peut avoir peur d'un nouvel handicap.
- Elle a besoin d'échanger avec les autres pour ne pas croire qu'elle est seule avec son problème.
- La fratrie attend que les parents disent toute la vérité.
- Elle veut que les parents trouvent des solutions pour la garder afin de ne pas être obligé de venir quand il y a des visites nombreuses à faire chez les différents thérapeutes pour l'enfant handicapé.
- Le regard des autres sur le frère/soeur handicapé est vécu douloureusement par la fratrie
Quelques contraintes dans la vie quotidienne pour la fratrie :
- L' obligation de la salle d'attente
- Les vacances forcées: limitations dues au lourd fauteuil roulant par ex. Pas de vrai choix pour la destination.
- Les courses du samedi matin: le fauteuil roulant est encombrant quand il y a beaucoup de monde. Le frère/sœur garde l'enfant handicapé à la maison qui est privé de l'apprentissage de la vie extérieure, et la fratrie parentifiée.
Les conséquences du handicap pour la fratrie :
- Les enfants sont extrêmement raisonnables. Ils surveillent les enfants aussi bien que les parents et cela peut limiter les velléités d'autonomie de l'enfant handicapé car ils font tout à leur place. Parentifiés, ils prennent des responsabilités qui ne sont pas du tout celles qu' on attend d'un enfant de leur âge. Et il vaut mieux éviter de donner des rôles inappropriés pour l'âge, ce qui suppose des relais, …
- Transformation de la colère, de la révolte en une solidarité plus grande que ce qui est naturel
- Préserver les parents : elle est préoccupé du bien-être de ses parents et toute son action tend à les préserver.
- L'isolement social: la fratrie est plus isolée car les copains hésitent à venir à la maison. Souvent elle est identifiée par rapport à l'enfant handicapé ("çà casse l'ambiance")
- Maturité: accélération de sa maturité sociale par rapport à sa maturité affective, d'où des problèmes de décalages: on ajuste parfois ses exigences à la maturité sociale et non à la maturité affective.
- Des difficultés scolaires, fréquentes à l'adolescence.
- Phénomène de somatisation : des malaises, des douleurs traduisent l' anxiété face à une opération importante sur l'enfant handicapé qui inquiète toute la famille...
- Difficultés dans le choix des métiers: ils vont souvent vers des professions médicales, sociales,…où ils mettent en œuvre leur compétences acquises. Ils agissent comme s'ils avaient une sorte de dette à réparer. C'est une prolongation de leur enfance dans l'âge adulte: difficile à assumer
Que ressent la fratrie?
- De la culpabilité: elle se sent coupable comme si elle était responsable de ce qui se passe dans la famille. Surtout chez les petits enfants qui croient à la pensée magique et ont, à un moment donné des pensées mauvaises: "ce frère s'il n'était pas là, ce serait très bien", ou "s'il pouvait lui arriver quelque chose ce ne serait pas mal du tout". Si par malheur, il arrive quelque chose, ils pensent que c'est de leur faute.
- La honte, le regard des autres qui blesse beaucoup.
- Le chagrin qui résulte du deuil du frère ou de la soeur idéal : personne n'en parle avec eux.
- La sagesse : les parents ont tellement de soucis qu'ils doivent penser que je dois être sage. Souvent, elle se comporte comme elle pense que les autres pensent qu'elle devrait se comporter. Elle est trop sage. Les parents ne pensent pas forcément cela et aimeraient voir leurs autres enfants épanouis. Domaine de la croyance, du non-dit.
Facteurs favorisant les difficultés
- Le type de handicap ne va pas beaucoup influer les choses, sauf pour les atteintes qui demandent plus de temps à la famille, … Mais il peut influer certains moments de la vie des enfants: exemple quand ils sont bébés. Le bébé, au cours de la journée reçoit des stimulations de la part de la Maman, un sourire,.. S' il ne bouge, ni ne réagit au sourire, progressivement on cesse de stimuler un enfant qui aurait besoin plus qu'un autre d'interaction. A cause de ce type de déficience il en sera privé et pourra développer une complication du mécanisme de l'attachement.
Même difficultés dans toutes les maladies chroniques (cancer) avec un plus : l'anxiété du risque de mort. Il n'est pas vraiment là dans la plupart des handicaps, sauf avec les enfants atteints de maladies progressives (myopathie,…).
- La place dans la famille: si l'aîné est handicapé mental, pour le cadet comment se situer ?
- L'âge de la fratrie : à l'adolescence, elle peut se poser des questions sur ses propres enfants,….
- Le droit à l'existence en tant que personne et non pas par rapport au frère handicapé: mes parents m'ont fait car ils voulaient un enfant normal quand ils ont su que mon frère était handicapé.
- Les tabous familiaux et l'aspect transgénération: des non-dits se transmettent d'une génération à l'autre. Ex: les parents ont peur de faire mal aux autres enfants en parlant de la déficience. Ou n'arrivent pas encore à en parler. Souvent ce silence fait partie du système de défense des parents contre la souffrance. On ne peut les blâmer, et il faut respecter cela, même si chacun d'eux avancent à des rythmes différents. Mais il faut essayer de penser à ce que la fratrie peut ressentir au moment présent, répondre à ses questions, lutter contre les non-dits.
- La culpabilité des parents d'avoir mis au monde un enfant différent.
- Les exigences au quotidien: doit-on demander la même chose à tous les enfants ? La fratrie n'ose pas râler car on va lui dire que son frère est handicapé, qu'il n'y peut rien. Elle va garder pour elle sa colère. Or il faut lui apprendre qu'elle a le droit d'être en colère. Il faut éviter d'assimiler toutes ses réactions au fait que son frère est handicapé.
- Les problèmes psycho-sociaux n'arrangent pas les choses (manque d'argent, alcoolisme,…).
- Les questions culturelles viennent parfois entraver les efforts des thérapeutes.
- Facteurs liés à la société: le malaise face au handicap, à la différence. La fratrie ressent ce malaise de façon assez violente car elle a déjà fait un certain chemin et elle est sensible aux préjugés.
- Les moments clés, déterminants:
L' anniversaire ( rappel de la naissance difficile pour les parents ), une grossesse (les enfants ont peur d'un nouvel handicap dans la famille, les parents qui ont déjà des soucis ne pensent pas à en discuter au niveau émotionnel avec leurs enfants).
L'institutionnalisation: elle est à discuter avec les parents et avec la fratrie. Certains enfants n'apprécient pas quand les parents décident de mettre l'enfant handicapé dans un établissement: ils perdent de leur liberté car les parents sont plus disponibles, et peuvent juger leurs parents criminels de faire cela car ils ont l'impression qu'ils abandonnent leur frère ou sœur.
Les aspects positifs: L' expérience, la maturité, la solidarité réelle
Conclusion: Ces enfants sont d'abord des enfants, leurs réactions sont des réactions d'enfants qui doivent affronter des situations particulières. Chaque enfant est unique, il n'y a pas de trucs. Mais il faut préserver l'espace de parole, les aider à comprendre la situation particulière à laquelle ils ont à faire face.
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