La Family – Que nous transmet la famille?
Gérard Salem – On reçoit à la naissance un bagage génétique, une langue, une religion, une éducation, un environnement qu’on n’a pas choisi et dans lesquels on va grandir.
Hérite-t-on aussi d’une histoire familiale ?
En plus des caractéristiques biologiques et sociales, on lègue dans certaines familles des hauts faits, des gloires, des triomphes ou alors des scandales, des drames.
Une fois adulte, conserve-t-on les valeurs familiales ?
Chacun se détermine différemment. Mais malgré les effets du post-modernisme qui laisse penser que l’on peut s’affranchir de ses liens et s’accomplir par soi-même, de nombreuses études menées en Europe montrent que pour la plupart des gens, le lien familial et amoureux passe avant la réussite personnelle.
L’individualisme n’a pas eu raison de la famille ?
On constate un retour de balancier. Les gens ont besoin de se ressourcer, de revenir à leurs racines, à leurs origines sans pour autant perdre leur individualité.
Comment vous l’expliquez ?
Les gens ne sont pas si heureux dans un monde incertain, inconsistant où tout ce qui compte c’est la performance. Ils ont besoin d’une narration collective dans laquelle ils se sentent exister.
La société moderne a beaucoup fait évoluer le visage des familles…
En apparence un taux élevé de divorce, les familles recomposées et monoparentales de plus en plus nombreuses remettent en cause le lien familial. Pourtant on voit que pour des questions de survie économique la solidarité joue, que les grands-parents viennent en aide à leurs descendants.
C’est ce qu’on appelle le sens de la famille ?
La famille est la cellule de base où l’on se montre attentif à autrui, où on apprend à tenir compte de quelqu’un, contrairement à l’école, à l’église ou au travail.
La famille soutient, mais elle est aussi un lieu de conflits ?
Ces conflits ont du bon, ils permettent de se différencier en tant qu’individus. S’émanciper de sa famille, c’est naturel, mais quand vous coupez les ponts définitivement, ça se retourne tôt ou tard contre ses propres intérêts.
Autorité, obéissance, les rapports parent-enfant ont bien changé dans la famille contemporaine ?
Aujourd’hui, on voit dans beaucoup de jeunes familles, un désir de créer une nouvelle qualité de dialogue, une nouvelle manière d’être avec les enfants dès le plus jeune âge. Avec des idées plus larges, elles recyclent les anciennes valeurs de façon plus inspirée, plus novatrice, plus poétique.
La famille n’a donc rien perdu de son influence ?
Elle a connu des crises, mais elle constitue toujours le sous-système le plus stable qui tient le coup le plus longtemps. Sans elle, nous ne sommes qu’un bouchon sur l’océan, ballotté au gré des courants.
Mais il arrive cependant de se fâcher, voire de ne pas s’aimer entre membres de la famille ?
Ce n’est pas une question d’amour ou de sentiments, mais d’abord de loyauté. Il s’agit d’un caractère existentiel, d’un sentiment de provenance et d’appartenance. Le clan nous donne de la valeur et une affirmation de ce que nous sommes.
Que nous le voulions ou non, nous restons liés à notre famille ?
Certains sociologues d’aujourd’hui pensent que la famille est un cliché mental, une représentation virtuelle. D’autres dont je fais partie la voient comme une histoire que nous continuons d’écrire, de génération en génération. Nous en sommes l’un des chaînons qui nous relie les uns aux autres.
François Jeand’Heur
Tu deviens adulte le jour où tu pardonnes à tes parents
Gérard Salem, Flammarion, 2018